Nouvelle publication par le MEMBRAMICS lab dans Nature Cell Biology
"Les filaments intermédiaires de kératine positionnent mécaniquement les pigments de mélanine pour la photoprotection du génome"
L'équipe MEMBRAMICS dirigée par Étienne Morel (INEM), en collaboration avec des chercheurs de l'Institut Curie, de l'Institut Pasteur, de L'Oréal, de l'IMRB et du laboratoire MSC, présente de nouvelles découvertes sur les mécanismes cellulaires sous-jacents à la photoprotection du génome dans la peau humaine. Dans une étude récemment publiée dans Nature Cell Biology, Cédric Delevoye (dernier auteur) et ses collaborateurs révèlent comment le cytosquelette des cellules cutanées contrôle mécaniquement le positionnement des pigments de mélanine afin de protéger le génome cellulaire des dommages causés par les UV.
Initié à l'Institut Curie et achevé après le transfert de Cédric Delevoye et Laura Salavessa à l'INEM, ce travail a été codirigé par Silvia Benito-Martínez (co-première auteure, PhD) et Laura Salavessa (co-première auteure, chercheuse postdoctorale). À l'aide d'un modèle de kératinocytes humains physiologiquement pertinent capable d'internaliser la mélanine extracellulaire, et en le caractérisant, l'étude démontre que les filaments intermédiaires de kératine 5/14, associés aux microtubules, régissent le positionnement tridimensionnel périnucléaire des organites pigmentaires.
Les auteurs montrent que les filaments de kératine forment des cages mécaniques autour des organites pigmentaires, rigidifiant leur microenvironnement et maintenant leur localisation supranucléaire sur le côté du noyau exposé au soleil. Cette organisation spatiale repose sur l'interaction coordonnée entre les filaments intermédiaires et les microtubules, reliés par des cytolinkers de plectine, et est essentielle pour une protection optimale de l'ADN génomique contre les UV solaires.
En identifiant la spatialisation des organites pigmentaires comme un paramètre biomécanique clé de la photoprotection du génome, cette étude révèle que la protection contre les UV à base de mélanine n'est pas seulement une question biochimique, mais aussi mécanique. Au-delà de répondre à une question de longue date en biologie cellulaire et cutanée, le modèle cellulaire développé dans cette étude offre la possibilité d'approfondir la dynamique membranaire et la contribution du positionnement des organites aux réponses cellulaires aux stress environnementaux tels que le rayonnement UV.
🔗 Trouvez l'article ici : https://doi.org/10.1038/s41556-025-01817-4
🔗 Accès complet ici : https://rdcu.be/eUImp
Au-delà des résultats scientifiques, cette étude reflète un long parcours de recherche collaboratif. Nous avons posé quelques questions à Laura Salavessa, co-première auteure et chercheuse postdoctorale au sein de l'équipe MEMBRAMICS, sur les motivations, les défis et les perspectives qui sous-tendent ce travail. [Les questions-réponses suivantes ont été traduites de l'anglais.]
Qu'est-ce qui te fascinait dans ce projet ?
L'un des aspects les plus passionnants de ce projet était son caractère exploratoire. J'ai remarqué que lorsque je suis à un dîner ou à une fête et que je dois expliquer mon travail à des personnes qui ne sont pas issues du milieu scientifique, elles sont toujours très intéressées, car la pigmentation de la peau est un sujet familier, visuel, qui concerne un organe très exposé, et dont nous sommes beaucoup plus conscients que de nombreux autres processus physiologiques. De plus, l'échange de mélanine dans la peau [qui se produit entre différents types de cellules] a quelque chose d'assez particulier. Deuxièmement, les gens sont toujours surpris d'apprendre à quel point nous comprenons peu certaines parties du processus, surtout compte tenu de la conscience que nous avons tous aujourd'hui des effets nocifs de l'exposition aux UV.
La coloration de la peau et la protection contre le rayonnement solaire reposent sur une interaction étroite entre deux types de cellules : les mélanocytes, qui produisent et sécrètent la mélanine, et les kératinocytes, qui internalisent ces pigments de mélanine et les maintiennent au-dessus de leur noyau, comme un minuscule parasol. Si nous en savons beaucoup sur la façon dont la mélanine est produite, ce qu'il lui arrive une fois qu'elle est absorbée par les kératinocytes, comment elle est maintenue et comment cela contribue à sa fonction vitale de photoprotection reste assez obscur. Ce manque d'informations peut être un défi lors du développement d'un projet, mais il laisse également beaucoup de place à la créativité et au plaisir. Cette liberté de créativité scientifique dans un domaine encore peu exploré est ce qui m'a le plus fasciné.
Quel a été le principal défi dans la réalisation de cette étude ?
Il s'agit avant tout d'une étude de biologie cellulaire, qui montre comment la signature moléculaire unique des organites pigmentaires et leur positionnement leur permettent de se maintenir et de photoproteger le génome des kératinocytes. Mais l'histoire nous apprend que le positionnement de la mélanine est également un processus biomécanique qui peut jouer un rôle dans certaines maladies.
Les éléments du cytosquelette, en particulier les filaments intermédiaires de kératine et les microtubules, travaillent ensemble pour maintenir la position 3D appropriée des organites pigmentaires, et nous montrons que ce positionnement est essentiel pour la protection contre les dommages causés à l'ADN par les UV. Dans certaines maladies de la peau qui affectent les filaments intermédiaires de kératine (comme dans la maladie de Dowling-Degos), les organites pigmentaires deviennent plus dispersés, ce qui rend probablement les kératinocytes plus vulnérables aux dommages causés par la lumière. Relier la biologie des organites, la biomécanique cellulaire et la maladie constitue un projet solide mais très ambitieux, et c'est là que les collaborations sont essentielles. Ce fut un long parcours, qui a débuté à l'Institut Curie et s'est terminé à l'INEM, avec un processus de publication et d'examen tout aussi long, impliquant de nombreux scientifiques de renom. Je pense que ce sont ces partenariats solides et basés sur la confiance qui ont fait toute la différence pour faire avancer le projet et maintenir la motivation de chacun.
Selon toi, quel impact ce travail aura-t-il sur les recherches futures ?
Je pense que ce travail fait avancer le domaine de la biologie de la peau et de la pigmentation en introduisant de nouveaux concepts et de nouvelles questions à explorer – il reste encore beaucoup à découvrir. L'une des contributions clés est le modèle cellulaire bien caractérisé des kératinocytes pigmentés humains qui reproduit les aspects essentiels de la pigmentation observés in vivo. Il s'agit d'un outil puissant pour étudier la biologie des organites pigmentaires, les réponses au stress induit par les UV, ainsi que la physiologie et la pathologie cutanées. De plus, dans une perspective plus large, le système de transfert de mélanine est un modèle fantastique et hautement modulable qui peut être utilisé pour étudier la communication intercellulaire, l'échange de particules physiologiques, l'homéostasie tissulaire, les réponses au stress, etc. C'est vraiment un modèle idéal pour les recherches futures.